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     Emmanuel Macron visite les chantiers navals de Saint-Naeaire, 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22083308_000001.

     

    Avec la nationalisation de STX, Emmanuel Macron montre les crocs : pas question de laisser les chantiers navals de Saint-Nazaire sous la coupe italienne.


    Le Maire à contre-emploi

    La surprise a eu le mérite de faire son petit effet. Promoteur du libéralisme économique et des privatisations, le Président de la République est parvenu à surprendre plus d’un journaliste et politique. D’autant plus que l’annonce a été dévoilée par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des finances. Ce dernier qui a récemment affirmé vouloir céder massivement les parts de l’Etat dans les entreprises où il est actuellement actionnaire.

    Toute cette complexité politique cache un problème qu’Emmanuel Macron, lui-même, ne semble savoir résoudre : l’abandon de l’Etat stratège depuis plus de trente ans. Dans les entreprises où la France a des parts,, Emmanuel Macron fait face à cette contradiction : comment concilier une politique structurelle avec de lourds investissements – uniquement rentables sur le long terme, et, dans le même temps, bichonner les actionnaires privés qui, eux, demandent, une rentabilité immédiate ?

    La carte du « décret Montebourg »

    A cette problématique, l’Etat doit ajouter les tactiques des autres pays, qui ont tout intérêt à grappiller le savoir-faire et les marchés de notre propre industrie. Egalement, l’enjeu étant de préserver l’emploi sur son sol pour qu’il ne soit pas transféré vers d’autres cieux. Les chantiers navals de Saint-Nazaire illustrent cette difficulté. Aujourd’hui rentable, STX France subit l’assaut de Fincantieri, entreprise partiellement privée, dont l’Etat italien est actionnaire. Pour quelques 80 millions d’euros (une goutte d’eau pour notre budget), la France a voulu jouer la carte du « décret Montebourg » (validé par la Commission européenne en juillet 2014), qui donne droit à l’Etat de défendre ses secteurs stratégiques. Cette action permet de préserver les 7000 emplois sur le territoire français. Héritier de la mondialisation heureuse, Emmanuel Macron s’en remet donc à son ancien rival politique, le protectionniste Arnaud Montebourg… Cocasse.

    Après nationalisation, le capital à 50% italien?

    Mais cela ressemble avant tout à un mirage. Et tout laisse penser qu’il s’agit, là, d’un simple coup de botte. D’une, la nationalisation est temporaire (ce qui, en soi, ne signifie pas grand–chose puisqu’elle peut durer ad vitam aeternam), l’Elysée admettant accepter un partage du capital à 50-50 avec les Italiens. De l’autre, Emmanuel Macron n’a jamais caché sa volonté de poursuivre les privatisations, sans véritablement de réflexion orientée sur la politique de ré-industrialisation.  Effectivement, une ré-industrialisation passe obligatoirement par des dépenses publiques importantes dans des secteurs définis, à l’image de Donald Trump, qui a pris résolument la décision de protéger l’industrie automobile américaine, par des pressions et la dissuasion. En quelque sorte, Emmanuel Macron fait, avec STX, ce que ses prédécesseurs ont déjà fait : une politique au coup par coup.

    Feu sur les bijoux de famille!

    On protège brièvement une industrie pour faire miroiter la force de l’Etat et on privatise par la porte arrière pour récolter quelques milliards d’euros – et gonfler, ainsi, conjoncturellement le budget de l’Etat. En effet, n’est-ce pas Emmanuel Macron qui a organisé la vente progressive des restes des « bijoux de famille » de l’Etat ? Depuis 2014 et sa nomination à la tête du ministère de l’Economie, la liste devient longue avec la privatisation des aéroports de Toulouse, de Nice et de Lyon, la cession d’actifs chez Peugeot au profit de la Banque Publique d’Investissement ou la baisse de la participation dans Safran. Le tout pour environ 5 milliards d’euros. Prochainement, dans les cartons : Paris Aéroport (comprenant Roissy-Charles de Gaulle, Orly et le Bourget), Naval Group (ex-DCNS), la Française Des Jeux ou encore la vente de parts – là où l’Etat est minoritaire –  chez Engie ou Orange. Quant à Bruno Le Maire, il n’a jamais caché sa volonté de privatiser Pôle Emploi.

    SOS Etat stratège

    Enfin, la faillite de l’Etat stratège a été aussi visible lorsque des entreprises françaises se sont vues agressées par des OPA (offres publiques d’achat). Emmanuel Macron a bien évité d’impliquer l’Etat, comme il le fait actuellement avec STX. Dans un secteur pourtant également stratégique, la branche-énergie d’Alstom a, en 2015, cédé face au géant américain General Electric. L’Etat pouvait intervenir et en avait le droit. Toutefois, Emmanuel Macron a autorisé cette opération. La vente a permis a certains actionnaires, d’empocher un bonus d’une trentaine de millions d’euros. En janvier 2016, General Electric annonçait la suppression de 6 500 emplois en Europe, dont 765 en France pour Alstom-énergie…

    Article de Bastien Gouly pour Causeur

     

    Emmanuel Macron visite les chantiers navals de Saint-Naeaire, 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22083308_000001.


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  • Emmanuel Macron au saon Viva Technology à Paris, juin 2017. SIPA. 00811228_000010

     

    Progressistes vs. déclinistes?

    Comme l’a rappelé Léa Salamé, lors de la soirée électorale du second tour de la présidentielle, le progrès a triomphé face aux « déclinistes » (sic). C’est bien toute une sémantique qui s’est installée insidieusement dans le langage politique et médiatique. De fait, il suffit de lire Jérôme Godefroy, le magazine Challenges, d’écouter Eric Brunet, Franz-Olivier Giesbert, bref la plupart des éditorialistes: la victoire d’Emmanuel Macron et de son mouvement serait celle des optimistes face aux pessimistes conservateurs, des modernes face aux passéistes, de la jeune génération « société civile » face à l’ancien monde.

    Feu sur les réacs!

    Selon le discours entendu, tout ce qui alimente une critique de la mondialisation, de l’Union européenne et, par là, l’ouverture, doit être considéré comme une attaque contre le progrès et la modernité. Ainsi, la convenance enfourne Natacha Polony, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, le Front national, et les gaullistes dans un même sac : au mieux dans celui des conservateurs, au pire, dans celui des extrémistes et des « fachos ».

    Cette entreprise de formatage a réussi à imposer l’idée que seule la force centriste actuelle serait légitime pour incarner le camp progressiste et moderne. Et si le progressisme déclamé était bel et bien un moyen d’amadouer le peuple pour le préparer aux prochaines régressions ? Les « déclinistes » ne seraient-ils pas, en réalité, ceux qui soutiennent l’ouverture débridée des marchés, vantent la mondialisation heureuse, souhaitent la fin progressive du droit du travail ? Ces mêmes personnes qui osent mettre un voile sur les causes de la hausse des inégalités.

    Déréguler n’est pas simplifier

    Exemple-type : la réforme du droit du travail, enjeu central du quinquennat Macron. Il faut « simplifier le code du travail », « décentraliser la négociation pour plus de démocratie au sein de l’entreprise », « libérer le travail », introduire « de la flexi-sécurité »… Par ces termes, tout semble positif. D’ailleurs, un mot d’ordre est largement diffusé : « être optimiste ». En réalité, nous pouvons transformer ces mots par leur véritable sens : « précarisation », « contournement syndical », « facilitation des licenciements », « ubérisation du marché du travail » (remplacer le salarié par un auto-entrepreneur pour lequel les droits sont réduits au minimum).

    Une régression sociale qui remettrait en cause près de trois siècles d’acquis. Il s’agit non pas d’une simplification du code du travail – d’ailleurs de nombreuses failles juridiques existent actuellement et les accords de branches ont permis de pallier certaines d’entre elles – mais d’une dérégulation du code du travail. Une sorte de droit à la carte selon les salariés, les hiérarchies internes et les entreprises. Par quoi se traduit cette régression ?

    Assouplir les licenciements

    Emmanuel Macron ne l’a jamais caché, y compris sous le précédent quinquennat : il veut assouplir les licenciements. L’une des premières mesures de la future loi travail consiste à plafonner les indemnités prud’homales pour les renvois sans cause réelle. La logique libérale et centriste (le Modem et « En Marche » en tête) considère que le chef d’entreprise doit avoir connaissance à l’avance du coût d’un salarié, si celui-ci ose intenter en procès pour licenciement abusif. Les tribunaux auront un barème qui encadrera le montant des dommages et intérêts. Ainsi, l’entreprise pourrat-elle budgétiser le coût d’un salarié, si celle-ci souhaite s’en séparer sans motif. Plus qu’une simple petite entorse à la séparation des pouvoirs (entre la justice et le politique), le citoyen est, avant tout, considéré comme un ajustement financier et non, une plus-value.

    Par ailleurs, la nouvelle réforme prévoit la priorité des accords d’entreprise sur les accords de branche (durée légale du temps de travail, salaire minimal, égalité professionnelle entre hommes et femmes, etc.). Et ce, même si l’accord d’entreprise s’avère moins avantageux pour les salariés. Cette disposition créera une concurrence interne en France entre des entreprises du même secteur. Une course vers le nivellement par le bas, où telle entreprise pratiquerait tel ou tel règlement sur les horaires de nuit ou les heures supplémentaires.

    Bilan des pays libéraux

    Enfin, d’autres pistes sont évoquées comme l’ambition de développer le statut d’auto-entrepreneurs, l’individu payant ses propres charges et cotisations sociales, même si celui-ci est engagé par une entreprise… Dans tous les pays anglo-saxons et les pays latins – Italie, Espagne, Grèce et  Portugal, qui ont été pilotes dans la régression sociale, par la casse de leur code du travail (dictée par le triptyque Commission européenne, FMI, BCE), les chiffres du chômage ont effectivement baissé, très faiblement, mais au prix d’un accroissement inquiétant des inégalités. La pauvreté a même nettement augmenté.  La précarisation des salariés et des citoyens vise à mieux les maîtriser, pour les adapter au seul but d’un marché dérégulé. Un marché qui n’apprécie guère nos services publics et hôpitaux, pas assez rentables – a fortiori dans la France périphérique.

    160 000 fonctionnaires de moins

    La volonté du gouvernement d’Edouard Philippe de supprimer 160 000 fonctionnaires est, bel et bien, un point qui colle avec cette vision de la «start-up France». S’opposer à ce grignotage revient, entre autres, à critiquer les principales directives européennes, qui précipitent le déclin. Une position aujourd’hui considérée comme d’arrière-garde, par le décorum médiatico-politique. Aussi, que penser de la volonté d’Emmanuel Macron de signer un traité de libre-échange avec le Canada (le CETA), visant à réduire les normes de santé et d’environnement, sous prétexte de favoriser le commerce entre les deux pays ?

    Faire fi de toute l’histoire des luttes sociales, des évolutions du code du travail, des conventions collectives, des acquis qui devaient permettre aux sociétés de grandir avec ses citoyens. n’est résolument pas un progrès.

    Article de Bastien Gouly pour Causeur.


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    Il y a Benoît Hamon le frondeur. Toute une campagne construite, durant les primaires socialistes, contre la politique gouvernementale,  trop libérale. Et il y a l’autre. Celui dont le projet est moins proche de Mélenchon que de l’eau tiède. Pis, certaines de ses mesures sont contraires à l’image qu’il souhaite donner. Certaines de ses propositions semblent tout droit sorties d’une bible libérale, voire des courants libertariens. Mister Jekyll et Mister Hyde ? Peut-être… Ou alors, lui-même ne s’est pas  pleinement plongé dans le raisonnement de ses idées.

    L’une d’elles, la plus célèbre, est même le pilier de son projet politique : l’instauration d’un revenu universel. Sur le papier, son argumentation et son schéma semblent évidemment suivre un raisonnement dit « gauchiste ». Mais sur le papier seulement. En réalité – et c’est aussi l’une des raisons de l’opposition de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet – l’instauration du revenu universel est en phase avec l’objectif de société prôné par les libre-échangistes…

    Benoît Hamon pose comme préalable que l’évolution technologique de demain n’accordera pas, à tous les citoyens, une place sur le marché du travail – d’où la nécessité d’un revenu universel. La mise en place d’un salaire garanti permettrait de légitimer la baisse des coûts salariaux. Une aubaine pour les grandes entreprises. Chaque citoyen percevant une même somme venant de la collectivité, le secteur privé n’aurait qu’à prolonger ce salaire pour donner l’impression de l’utilité du travail accompli.

    Ce revenu, vraiment très universel, serait d’ailleurs perçu par tous les citoyens, sans exception, de Liliane Bettencourt au chômeur longue durée, quelle que soit leur richesse. Tant et si bien que, dans notre économie globalisée, le marché s’adaptant très vite, le revenu universel aurait pour conséquence inéluctable l’adaptation dudit marché et donc une substantielle inflation des prix, chaque foyer étant assuré de disposer d’un revenu minimum. Les pauvres seront toujours pauvres mais auront l’illusion d’être en situation moins précaires. C’est une variante de l’effet  « tittytainment », créé par Zbigniew Brzezinski, conseiller stratégique américain sous les présidences de Jimmy Carter et Barack Obama : si vous leur livrez assez de distraction (du « divertissement abrutissant ») et d’alimentation, les classes moyennes et populaires seront satisfaites, soumises au système, moins enclines à la révolte. Pour le plus grand bonheur des élites financières.

    Les couches moyennes et faibles seront enfin les grandes perdantes du salaire universel qui implique la fin des allocations, donc du principe d’équité, selon les revenus des foyers. Les allocations auront toutes fusionnées dans ce revenu universel. Si bien que certains foyers, qui cumulent actuellement lesdites allocations, ou qui pourraient y prétendre, seront forcément perdantes financièrement.

    Les écoliers, de futurs consommateurs en puissance

    L’autre révélateur du faux-gauchisme de Benoît Hamon, c’est sa vision de l’école. Lui qui n’a été ministre de l’Education nationale que quatre mois, a tenu, lors de son discours d’investiture en tant que candidat socialiste, le 5 février, à remercier les efforts de celle qui lui a succédé au ministère, Najat Vallaud-Belkacem, qui précédée de Vincent Peillon, a continué ce que François Fillon avait initié en 2005 avec la loi d’orientation, soit la sacralisation des thèses libérales, sur les recommandations de la stratégie de Lisbonne de 2000 (définie par le Conseil européen).

    A LIRE AUSSI >> S’IL RESSUSCITE, FILLON FERA-T-IL LA CHASSE AUX PÉDAGOS? CONSERVATEUR OUI, MAIS LIBÉRAL

    Les principes de la « loi Fillon » : la remise en cause de l’apprentissage des savoirs fondamentaux au profit des compétences, formatées pour le marché. Il faut créer une nouvelle race d’élève, prêt à l’emploi, prêt à s’adapter au marché. La réflexion et tout ce qui relève du « citoyen éclairé », cher au principe fondateur de la République, est inutile au marché. C’est exactement ce que les « pédagogistes » – soutenus par Benoît Hamon – souhaitaient. Faire de l’école, un lieu d’animation « branchouille » où l’élève ne serait plus tenu par le redoublement, la discipline, le savoir. L’élève doit maintenant mettre à profit les données, qu’on lui offre sur un plateau, pour trouver des moyens de satisfaire un problème. Des problèmes qui ne sont plus de l’ordre d’un calcul mental, d’une réflexion chronologique sur les événements historiques ou d’une recherche de résolutions de fautes d’orthographe. Non ! Il s’agit désormais d’une course vers la modernité, ou  – dit de manière moins correcte – vers les nouvelles pratiques de consommation. On a fondé des partenariats avec des entreprises comme Microsoft pour satisfaire les besoins numériques de l’école… Et permettre aux élèves d’être compatibles aux produits Microsoft. On force les professeurs à créer des cours sur ordinateurs, calculatrices, sous forme de jeux.  La création du vide, pour former de bons consommateurs.

    En France, les idéologues se nomment Philippe Meirieu ou Florence Robine. Cette dernière, placée par Benoît Hamon à la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) en 2014, avait osé : « Il faut être capable de mettre des élèves en autonomie sans le professeur. Oui c’est possible. On n’a pas forcément besoin d’un enseignant pour apprendre . »  Cela nous vous rappelle rien ? Certains discours sur le trop grand nombre de professeurs… Trop coûteux, pas rentables. C’est oublier que dans certaines zones de la France périphérique, des écoles manquent encore d’instituteurs et d’enseignants… Peu importe, pour les « pédagogistes » et les néolibéraux, les enfants de l’élite pourront se payer les professeurs du privé, venant des très lucratives entreprises comme Acadomia, pour acquérir le savoir que les établissements ne peuvent offrir au plus grand nombre.

     
     

     

     

    Article de Bastien Gouly pour Causeur.


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